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État de publication: Publiée (2023 )
Type de rapport: Rapport de recherche
Titre de la collection: Gouvernement du Québec
Institution: LIRES
Lieu: Québec, Canada
Résumé: À l’instar d’autres langues, le français comme langue d’enseignement et de communication scientifique est soumis à une pression soutenue face à la montée en puissance de l’anglais au sein des échanges académiques. Alors qu’en 1910, l’allemand, le français et l’anglais avaient une part égale de publications scientifiques1, aujourd’hui, ce sont 79 % des revues indexées par Scopus et 90 % des articles répertoriés par l’Institute for Scientific Information (acquis par Thomson Reuters) qui sont rédigés en anglais. De même, les universités qui trônent au sommet des plus grands classements internationaux – eux-mêmes fondés en grande partie sur des indicateurs bibliométriques – sont presque toujours de langue anglaise2. Vu que le travail dont les bases de données ou les classements ne tiennent pas compte devient souvent « invisible » dans le champ mondialisé de l’enseignement supérieur, un cercle vicieux semble se mettre en place : les anglophones ont plus facilement accès aux principales revues savantes3; les non-anglophones publient en anglais pour être cités davantage4; des établissements non-anglophones encouragent leurs personnels et leurs étudiants à travailler en anglais5; les revues non-anglophones reçoivent donc moins d’articles originaux de grande qualité, obtiennent un facteur d’impact moindre et attirent encore moins d’articles originaux de grande qualité. L’utilisation de l’anglais comme lingua franca n’est pas sans avantage6. Une langue commune peut en effet faciliter les collaborations internationales, accroître la diffusion et l’impact des recherches, et permettre à un plus grand nombre de chercheurs de divers pays de poursuivre des recherches scientifiques7. En revanche, en plus de participer à la dévaluation de diverses langues comme moyen de communication scientifique, l’hégémonie de l’anglais pourrait ralentir le processus scientifique du fait que certains chercheurs prometteurs risquent de demeurer à la marge de ce processus dû aux caractéristiques de leurs compétences linguistiques8. La prépondérance de l’anglais pourrait aussi limiter l’accès des praticiens aux connaissances scientifiques9. Cette disjonction mine l’impact de la recherche sur les liens entre science et pratique, notamment dans les professions liées aux sciences sociales ou de la santé. Il est en effet pertinent de se demander comment la pratique professionnelle des enseignantes et enseignants, des infirmières et infirmiers, des psychologues ou des travailleuses sociales et travailleurs sociaux peut s’alimenter auprès de recherches qui sont publiées dans une langue qui n’est pas celle du milieu de pratique. Dans la même veine, il est possible de penser qu’une prédominance de l’anglais dans le contexte national ou provincial d’une autre langue puisse nuire à mission des services aux collectivités qu’accomplissent plusieurs établissements d’enseignement supérieur10. À ce stade, l’utilisation de l’anglais pourrait affaiblir les ponts qui doivent se bâtir entre les besoins sociétaux et les connaissances générées par l’enseignement supérieur, sur le transfert de technologies, sur les interactions avec les parties prenantes externes (p. ex., entreprises, politiques et systèmes scolaires), sur la production de matériel didactique ou sur la mobilisation du grand public. En plus des impacts liés à la production et mobilisation des connaissances, l’influence de l’anglais se perçoit dans la transmission de ces connaissances et, particulièrement, dans l’enseignement. En premier lieu, l’hégémonie culturelle des pays anglophones se manifeste par le recrutement massif d’étudiants internationaux – les systèmes d’éducation supérieure australiens, américains, canadiens et britanniques accueillent en effet 36 % de l’ensemble des étudiants internationaux du monde11. Ce recrutement se fait également aux cycles supérieurs, puisque ces étudiants représentent 40 % des doctorats décernés en sciences et en génie aux États-Unis12. Pour Salmi13, la contribution de ces étudiants au capital matériel (c.-à-d. les revenus générés par ces étudiants) et au capital scientifique (c.-à-d. les publications auxquelles contribuent ces étudiants) explique en partie le succès des universités anglophones. Face à ce succès, de nombreuses universités allemandes (comme l’Université technique de Munich), espagnoles (comme l’International University), françaises (comme la Paris School of Economics), hollandaises (comme l’Université d’Amsterdam) et suisses (comme l’École de technologie supérieure de Zurich) offrent jusqu’à 50 % de leurs cours en anglais et permettent aux étudiants de compléter des diplômes de grade dans cette langue14. En outre, même si les personnels enseignants et leurs universités offrent des cours en français, suivant les transformations dans la production et diffusion des connaissances scientifiques en anglais, il arrive fréquemment que le matériel pédagogique et didactique le plus à jour soit en anglais15.
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