Les mythes pédagogiques en éducation au Québec


Le monde de l’éducation est sujet aux changements pédagogiques. Faut-il s’en étonner ? Non ! Il est tout à fait sain que dans un domaine aussi important que la réussite éducative des jeunes, on remette régulièrement en question certaines manières de faire. Et le personnel enseignant reste ouvert à ces débats, car il s’en nourrit pour améliorer ses interventions auprès des élèves. Le problème, c’est lorsque ces débats prennent les allures d’un dogmatisme pédagogique.Une histoire de bonnes intentions

La réforme de l’éducation des années 2000 a vu apparaître la pédagogie du projet, dont l’objectif principal était de permettre aux élèves de s’engager plus complètement dans leur scolarité. Cette approche pédagogique avait ses vertus, mais elle a été aussi critiquée, car elle semblait mieux répondre aux besoins des jeunes issus des classes moyennes et aisées, et moins à ceux issus d’un milieu social plus défavorisé.

Des voix se sont élevées pour défendre ces jeunes moins favorisés. Certains universitaires ont pris leur bâton de pèlerin pour changer les choses, en promouvant une méthode pédagogique qui, selon leurs dires, relevait d’une démarche scientifique et rigoureuse, qui avait fait ses preuves. L’intention était plus que louable. Le hic dans cette histoire, c’est que la méthode proposée est construite sur un mythe fondateur, créé de toutes pièces par ces universitaires.

La création d’un mythe pédagogique

La nouvelle méthode pédagogique proposée, l’enseignement explicite, a été présentée comme le résultat d’une recherche effectuée aux États-Unis au cours des années 1960-1970, recherche connue sous le nom de Follow Through, menée dans les écoles primaires de milieu défavorisé.

Cette recherche s’échelonne sur dix ans (1967-1977), touche 170 000 élèves et 180 communautés, testant plus d’une vingtaine d’approches pédagogiques différentes, dont l’enseignement explicite. Une boîte de consultants en recherche (Abt Associates) est mandatée en 1972 pour effectuer une évaluation sur plusieurs approches expérimentées dans Follow Through. Les conclusions paraissent cinq ans plus tard. Déception : aucune des méthodes testées ne se montre assez efficace pour aider les élèves à risque à améliorer leurs résultats scolaires.

Des constats troublants

Pourtant, la méthodologie utilisée dans Follow Through avait fait l’objet de vives critiques, dès 1973, lors de la tenue d’un panel d’experts en méthodologie de recherche. Un autre groupe d’experts a aussi publié en 1978 une analyse des résultats de cette recherche. Les auteurs confirmaient que les approches pédagogiques expérimentées ne fournissaient pas de résultats concluants. La même année, un des responsables de l’enquête effectuée par Abt Associates, Richard Anderson, s’explique sur les résultats de leur

enquête : « [...] le modèle Follow Through n’a pas eu l’énorme effet positif espéré, et aucune des approches pédagogiques [testées] n’a eu un effet cohérent d’un endroit à l’autre. [...] À mon avis, l’expérience menée ne permet pas de dire aux enseignants dans les écoles du pays comment ils doivent mener leurs affaires ».

Malgré toute la prudence qu’auraient dû inspirer les résultats de la recherche Follow Through, certains universitaires québécois ont fait, et font toujours, une promotion soutenue de l’enseignement explicite, comme étant une méthode fondée sur des données probantes, validée par la recherche, et dont il serait impératif d’appliquer les fondements dans les écoles, notamment en milieu défavorisé (voir par exemple, dans Le Devoir, la chronique de Baillargeon du 16 février 2019, et la lettre de Boyer et al. du 25 novembre 2020). Le décalage entre les résultats négatifs de la recherche Follow Through et ce prosélytisme pédagogique s’apparente à la création d’un mythe sur l’efficacité de l’enseignement explicite.

Il y a des spécialistes de la pédagogie

Les pédagogies miracles, ça n’existe pas : si c’était le cas, on le saurait. L’enseignement explicite a sans doute ses vertus, mais les fondements scientifiques sur lesquels elle est présentée laissent perplexe.

Il y a pourtant un outil très efficace pour aider les élèves à réussir à l’école : ça s’appelle le jugement professionnel du personnel enseignant. Les enseignantes et les enseignants sont des praticiens de la pédagogie, ils sont formés spécifiquement pour cela, ils sont dans les classes quotidiennement, ils peuvent juger rapidement des difficultés des élèves puis ajuster leur approche pédagogique afin de répondre aux besoins précis de ces derniers.

C’est en combinant leurs savoirs et leur expérience qu’ils sont en mesure de proposer des démarches pédagogiqus les mieux adaptées selon les circonstances. Alors, pourquoi vouloir leur prescrire des pédagogies formatées sur des prémisses douteuses ? Laissons aux enseignantes et enseignants, ces spécialistes de la pédagogie, tout l’espace nécessaire pour mettre en œuvre leur jugement professionnel.

Jacques Tondreau, sociologue de l’éducation Québec, mai 2021

 

Écrits reliés:

Mémoire du réseau PÉRISCOPE soumis au Ministre de l’Éducation et de l’Enseignement Supérieur dans le cadre de la Consultation nationale sur la réussite éducative (2016)

Mémoire du réseau PÉRISCOPE soumis au Comité de consultation pour la création d’un institut national d’excellence en éducation (2017)

Mémoire du réseau PÉRISCOPE présenté dans le cadre du Sommet sur la réussite éducative du printemps 2021

L’éducation par les preuves : le parti-pris d’un chroniqueur (mars 2021) par Jacques Désautels et Marie Larochelle, professeur.e.s émérites, Université Laval. Voir aussi cette publication sous ce lien.

 

Lancement sous peu de PÉRO, le robot conversationnel sur la PRS qui puise uniquement aux publications des chercheur·es du réseau PÉRISCOPE

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L'enseignement explicite en débat : regards croisés de chercheurs

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Rapports aux savoirs et système éducatif québécois : des tensions surmontables ?

 

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