L'enseignement explicite en débat : regards croisés de chercheurs


Dans un contexte où l'enseignement explicite fait l'objet de nombreuses discussions dans le milieu éducatif, le réseau PÉRISCOPE souhaite mettre en lumière deux articles récemment publiés dans les Cahiers pédagogiques. Stéphane Allaire, membre du réseau PÉRISCOPE, et Philippe Meirieu, chercheur européen, apportent tous deux des perspectives nuancées sur cette méthode pédagogique.

Un regard québécois sur l'enseignement explicite

Stéphane Allaire, chercheur du réseau PÉRISCOPE, analyse l'enseignement explicite dans le contexte particulier du Québec, où cette méthode suscite de vifs débats, notamment depuis l'arrivée de la Loi 23 du ministre Drainville. Il souligne que le phénomène s'est particulièrement intensifié dans le discours public de ces deux dernières années. Son analyse met en évidence que la méthode n'est pas problématique en soi et rappelle ses principes de base :

·       La décomposition des tâches en unités allant du simple au plus compliqué

·       L'exécution dirigée par l'enseignant

·       La progression des élèves vers l'autonomie

Toutefois, il met en garde contre plusieurs dérives potentielles. Un problème majeur se pose lorsqu'on prétend que l'enseignement explicite est la principale, sinon la seule méthode efficace pour enseigner. Il souligne également l'importance de considérer le contexte dans lequel les études sont produites pour en comprendre les résultats et en dégager des implications pédagogiques pertinentes. Le chercheur insiste sur la nécessité de préserver une diversité d'approches pédagogiques et de respecter les finalités éducatives poursuivies.

Une perspective européenne éclairante

Philippe Meirieu, chercheur européen, propose une analyse complémentaire qui démêle les différentes acceptions de l'expression « enseignement explicite ». Il identifie trois interprétations distinctes :

1.     La pédagogie rationnelle (Bourdieu et Passeron) : issue des années 1960, cette approche vise à lutter contre la reproduction sociale en déjouant la « violence symbolique » créée par la complicité culturelle entre l'enseignant·e et les élèves favorisés. Elle prône l'explicitation rigoureuse des attentes scolaires pour démocratiser l'éducation.

2.     Le modèle séquentiel (Gauthier, Bissonnette et Richard) : une approche structurée en trois phases (modelage, pratique guidée, pratique autonome) qui met l'accent sur la programmation méthodique et l'enseignement dirigé des stratégies de résolution de problèmes. Cette démarche est complétée par des révisions régulières pour consolider les apprentissages.

3.     Une vision réductrice et totalisante : cette conception transforme le modèle séquentiel en principe unique de transmission, réduisant l'école à la reproduction infinie du triptyque cours-exercices-applications. Elle s'oppose frontalement à toute forme de constructivisme et exclut la recherche, l'enquête et l'expérimentation.

Dans sa réflexion, Meirieu plaide pour une pédagogie véritablement émancipatrice. Pour lui, l'enjeu majeur n'est pas de normaliser les élèves, mais de les éveiller à la pensée critique, particulièrement dans un contexte où les sociétés démocratiques sont menacées par la montée de l'individualisme et des communautarismes. Il souligne l'importance de susciter les interrogations et d'engager les élèves dans une démarche exigeante de recherche « du plus précis, du plus juste, du plus vrai ». Cette approche ne rejette pas la transmission des savoirs, mais insiste sur leur dimension libératrice et leur capacité à remettre en question les préjugés et les évidences. L'objectif est de construire une singularité consciente de sa solidarité avec les autres, permettant aux élèves de devenir des sujets  à la fois autonomes et critiques.

Des convergences significatives

Les analyses des deux chercheurs, bien que développées dans des contextes différents, convergent vers des préoccupations fondamentales communes :

1.     L'importance du contexte d'apprentissage

Le contexte n'est pas qu'un simple cadre à considérer, il influence l'apprentissage. Allaire souligne ce point en évoquant l'exemple de la réforme marocaine où la description du contexte, incluant les compétences et contenus réellement sollicités, a limité la portée des résultats. Meirieu rejoint cette analyse en insistant sur la nécessité de considérer les situations de classe comme « toujours imprévisibles et imprévues ».

2.     Le danger d'une approche unique

Les deux chercheurs dénoncent vigoureusement la tentation d'ériger l'enseignement explicite en méthode unique. Pour Allaire, cette dérive est particulièrement visible au Québec où l'enseignement explicite est parfois présenté aux milieux scolaires comme « la principale, sinon la seule méthode efficace ». Meirieu y voit un risque de « standardisation des procédures » et de « caporalisation des personnels ».

3.     La défense du jugement et de l’autonomie professionnelle

Un point de convergence majeur est la vision de l'enseignant·e comme professionnel·le capable de jugement et non comme simple exécutant·e. Comme le souligne Allaire : « Sans entrer dans les détails, qui ont été commentés dans un livre ouvert auquel j'ai contribué, je mentionnerai que ses orientations de centralisation et de prescription pédagogique ont été largement décriées ». Cette critique rejoint la position de Meirieu qui défend l'image des enseignant·es comme « concepteurs informés, conscients des finalités qu'ils visent ».

4.     L'enjeu de l'équité et de l'émancipation

Les deux chercheurs partagent une préoccupation particulière pour les élèves en difficulté. Allaire met en garde contre une vision réductrice des données dites probantes, tandis que Meirieu insiste sur le fait qu'il ne faut pas « condamner les élèves les plus fragiles à n'acquérir que des "savoirs mécaniques" ». Ils plaident tous deux pour une ambition intellectuelle qui ne sacrifie pas la complexité au nom de l'efficacité.

5.     La nature de l'explicitation

Un point de convergence, subtil mais essentiel, concerne la nature même de l'explicitation. Pour Allaire comme pour Meirieu, l'explicitation n'est pas une méthode en soi mais une exigence inhérente à tout enseignement de qualité. Meirieu la qualifie comme « une exigence consubstantielle de tout enseignement » qui doit traverser toutes les approches pédagogiques.

Ces analyses viennent enrichir le débat actuel en montrant que l'enseignement explicite est une technique d'enseignement qui, bien que pertinente dans certains contextes, ne peut constituer à elle seule une réponse aux défis complexes de l'éducation. Pour reprendre les mots d'Allaire, la réflexion et le choix d'une méthode ne peuvent être faits « en ignorant les finalités qu'on poursuit comme éducateur ». Cette perspective invite à considérer l'enseignement explicite comme un outil parmi d'autres dans le répertoire pédagogique des enseignant·es, tout en restant vigilant face aux tentatives d'en faire une méthode unique et totalisante. Alors que l’IA générative s’installe dans les environnements d’études et de travail, cela augmente encore en importance.

Pour approfondir ces réflexions, les articles complets sont disponibles sur le site des Cahiers pédagogiques.

Pour accéder à l’article de Stéphane Allaire : https://www.cahiers-pedagogiques.com/enseignement-explicite-un-autre-regard/

Pour accéder à l’article de Philippe Meirieu : https://www.cahiers-pedagogiques.com/lenseignement-explicite-une-ambiguite-risquee/

Balado sur le livre blanc Rapports aux savoirs et système éducatif québécois : des tensions surmontables ?

 

 
 
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Rapports aux savoirs et système éducatif québécois : des tensions surmontables ?

 

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Le tutorat par les pairs, une voie alternative

Le tutorat par les pairs est un dispositif complémentaire pour soutenir les apprentissages des élèves, en place depuis le XIXe siècle. Des élèves ayant maîtrisé un contenu aident leurs pairs, bénéficiant ainsi tous deux du processus : le tutoré développe ses connaissances, et le tuteur consolide les siennes. Ce dispositif flexible et peu coûteux peut contribuer à réduire les inégalités et à améliorer la motivation, la littératie, la numératie et les compétences socioaffectives. Pour être efficace, le tutorat doit s’inscrire dans la durée, se faire en petits groupes ou en individuel, et inclure un suivi des tuteurs. Des ressources et outils sont disponibles via le réseau PÉRISCOPE pour soutenir les enseignants dans sa mise en œuvre. Suivre ce lien.